Exposer à la Galerie Jacques Marquet
Pour ceux qui s’en souviennent encore, la Galerie Marquet à Paris était vers les années 1970 la seule galerie où les jeunes dessinateurs pouvaient montrer leurs dessins ou leurs peintures en toute liberté, sans contrainte, ni ordre directif. Elle était un tremplin fabuleux vers le futur, loin des galeries mondaines et des artistes faisant de l’Art, avec cependant l’espoir secret d’être reconnu un jour. Ils sont encore quelques artistes qui la regrettent.
II y avait des expositions personnelles, sommités d’un moment de reconnaissance.
Parfois un thème était choisi par Jacques Marquet comme celui de L’Arbre en 1975, beau sujet dont on parle tant aujourd’hui avec raison. Chacun en avait exploré les facettes avec ferveur et talent. Comme un éventail qui brasse l’air chaud pour saupoudrer et répandre un air plus frais, la palette des Artistes-Peintres-Dessinateurs en 1975 était infinie.
A chacun la sienne. A la plume ou au calame de bambou, à la mine de plomb ou avec le graphite dont l’épaisseur de la mine fait le trait, trait noir ou gris selon les sentiments.
Le pinceau d’eau douce, trempé dans le jus légèrement mouillé, recueilli par le frottement du baton d’encre de Chine sur la pierre noire, au parfum si particulièrement délicat, gonfle la touffe de ses poils de martre, de putois, de chameau, de chèvre, de soie de porc ou d’oreille de bœuf et poils d’écureuil, pour une caresse grasse ou affinée sur le papier de riz, de chiffon, de chine couché ou de crépon, la liste est longue… Laisser la trace de la pensée qui s’envole sur le papier encore vierge, comme la caresse de deux amants ne pouvant se séparer : noir velouté ou gris infini, la palette des couleurs est vaste comme un champ de fleurs des Artiste-Peintres-Dessinateurs.
Dans le monde des Artistes, il n’y a pas de barrière, ni de frontière, il est territoire de liberté.
Seulement être soi-même. Penser à ce qui n’existe pas, et alors tout est possible : un taureau avec trois cornes, un homme avec cinq doigts, un paysage diurne sous le croissant de la lune, un personnage grotesque la langue dans les oreilles, ou encore un haut personnage interdit de reproduction et dont le dessin ici, serait avec ses pensées négatives encore plus stupide.
A la Galerie Marquet il y avait l’ancêtre, avec André François et son humour facétieux.
Jean-Jacques Sempé au trait si simple mais si expressif. En quelques traits tout était dit.
Le bonhomme de Jean-Michel Folon sur les ondes nocturnes à la porte des rêves, s’envolait pour endormir petits et grands. Roland Topor et ses dessins à la plume d’oie d’où s’échappait le noir intense de ses pensées les plus secrètes. Son adorable père Abram Topor marchant au milieu de la forêt aux arbres velouteux. Les peintures de Olivier Olivier, étaient un sourire sans fin, noyé dans le courant de sa peinture exquise. J’eus la chance d’exposer là aussi pour la première fois, encres de Chine et eau de l’aquarelle.
La Galerie Marquet fut une providence. Il existe encore quelques galeries se souciant de montrer l’esprit du trait. Mais il c’est uniformisé, comme si cent dessinateurs étaient devenus un seul dessinateur. On regrette la Galerie Marquet pour sa liberté, sa tolérance aux extrêmes différences. Elle était la jeunesse des artistes des années 1970 aux talents aux antipodes les uns des autres. Seule l’émotion ressentie au regard d’une image permet d’ouvrir l‘esprit, et la magie de l’irréel en est encore plus flamboyante.
C’est ce que permettait la Galerie Marquet, aux Artistes-Peintres-Dessinateurs.
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1965-2016