Rue des Saints Pères, Paris, mai 1968
Voitures calcinées, sculptures ébréchées barbouillées, caniveaux bloqués, boîtes à lettre, téléphones recouverts de glue noire, un tas de pavés jetés et entassés contre une vieille porte arrachée. Les éclats des vitres cassées jonchaient le sol. Fragiles et dérisoires barricades.
Sur le rebord du trottoir était recroquevillé un pauvre hère de la petite-pègre cachant son visage dans ses bras. Peut-être un voleur d’orange, un truand, un escroc, un voyou sans envergure, mais certainement sans logis et sans argent. Pas de tartine beurrée au petit déjeuner.
Ceux de la Haute Pègre, ceux que l’on respecte, mangent des oranges, du fromage, des tartines de pain beurré au petit déjeuner et à chaque repas d’chez eux, parce qu’ ils ont un d’chez eux, et luxe suprême, la Haute Pègre déjeune au resto. La Haute Pègre est bien logée.
La Haute Pègre est partout, elle a aussi ses escrocs, ses voleurs, ses truands, mais ceux-là sont de grande envergure. Ce ne sont pas eux qui ont écrit sur les murs cette phrase de Paris en chaleur : “Camarade demain nous serons les maîtres du monde”1.
C’est ceux de la basse-pègre assis sur les trottoirs, recroquevillés, avec leurs espoirs par terre.
Celui qui a écrit “La vie, vite”2.
1. Écrit devant Les Deux Magots, mai 1968
2. Écrit sur les murs de la poste de la rue des Saint-Père, mai 1968